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L'émission Pano (VRT) critique le fonctionnement des agences de street fundraising

Pano logo07/10/2019 - Fidèle à sa réputation de journalisme d'investigation, la dernière émission Pano, diffusée le 2 octobre dernier par la VRT, avait choisi de jeter un regard critique sur l'efficacité des programmes d'aide au développement mis en oeuvre par le secteur associatif.
S’interrogeant à cette occasion sur le bien-fondé des techniques de fundraising utilisées aux fins de  mobiliser la générosité du public en faveur de ces projets, le reportage comprenait plusieurs séquences tournées en caméra cachée dans le monde des agences commerciales de street-fundraising et de leurs équipes de recruteurs.
Les pratiques dénoncées au niveau d'agences de street fundraising opérant dans le Nord du pays ont immédiatement amené l’Association pour une Ethique dans les Récoltes de fonds (AERF) à annoncer l'ouverture d'une enquête (lien).

La collecte de rue gérée sans implication des agences commerciales n'est pas mise en cause
Concernant la Belgique, la croissance du secteur de la collecte de rue doit une part importante de son développement à quatre agences commerciales d'origine néerlandaise principalement actives en région néerlandophone (ActivatePepperminds et Direct Result) ainsi qu’à ONG Conseil, une agence d'origine française surtout active en région francophone.
Il ressort des comptes de l'année 2018 de ces quatre agences qu'elles ont totalisé ensemble un chiffre d'affaires de 9,7 millions d'euros. Ce montant n'est pas exclusivement  consacré à des missions de recrutement de donateurs, dès lors que certaines agences travaillent également pour divers clients commerciaux.

Un second canal de recrutement concerne un petit nombre d'associations, au nombre desquelles MSF, Greenpeace, Amnesty (section francophone) et l’Ilôt, qui ont choisi de gérer leurs activités de street fundraising en interne plutôt qu'en sous-traitance via une agence commerciale.
Ces organisations ne se sentent dès lors nullement concernées par les agissements dénoncés dans le reportage de Pano.
Pas loin de 100.000 nouveaux donateurs seraient recrutés sur base annuelle sur la voie publique ou en démarchage 'porte-à-porte'.

Agences de street fundraising: les éléments à charge
Le reportage de Pano s'est intéressé aux méthodes de prospection pratiquées par des équipes de recruteurs travaillant au service de deux agences actives dans le Nord du pays.
Les images de même que le compte-rendu détaillé publié par un journaliste sur le site de la VRT (lien) pointent divers comportements peu compatibles par rapport aux recommandations figurant dans la 'Charte de Dialogue Direct' de l’AERF que les associations et les agences commerciales concernées s’étaient engagées à respecter.

Le journaliste qui a travaillé une centaine d'heures 'undercover' en qualité de recruteur pour le compte de ces agences estime que ce mode de recrutement de donateurs s'inspire de méthodes hyper-commerciales.
Il fait état d'une double pression exercée sur les recruteurs, d'une part tenus d’obtenir au minimum trois souscriptions par jour, d'autre part récompensés au travers d'un système de primes attribuées aux collaborateurs et aux équipes particulièrement performants. 

On retiendra, parmi les divers épisodes notés par l'équipe de Pano :

  • l’organisation de concours destinés à stimuler le rendement individuel et collectif des recruteurs, ainsi que la distribution de primes particulièrement généreuses ('bonus') qui s'ajoutent à la rémunération de 80 euros par jour et permettent aux meilleurs vendeurs de gagner jusqu’à 200 euros par jour;
  • le manque de transparence vis-à-vis du public, auquel on préfère affirmer que les recruteurs ne touchent qu’une modeste rémunération.
    Un journaliste constate que même en présence d'un coach de l'entreprise l’existence du système de ‘bonus’ est parfois ouvertement niée. 
  • Les recruteurs sont reliés à l’agence au travers de deux canaux de communication interne - Facebook et Whatsapp - sur lesquels l’employeur privilégie l'envoi de messages d’encouragement truffés de nombreux signes $.
  • Il arrive que des recruteurs qui cherchent désespérément à atteindre le quota obligatoire de trois domiciliations par jour tentent d'amener l'un ou l'autre passant à signer une souscription 'pour du beurre': on indique à la personne qu'il lui suffira d'invoquer un prétexte quelconque pour annuller  sa domiciliation quelques jours plus tard, lorsqu'elle recevra un appel du call-center.
  • Les questions du public concernant le coût réel de la collecte de rue donnent parfois lieu à des réponses imprécises ou fantaisistes. 
    Un coach d'agence affirmait que cette technique permet aux ONG de récupérer de dix à vingt fois la mise investie.

Partisans et adversaires
La vingtaine d'associations belges qui recrutent des donateurs sur la voie publique au travers de domiciliations représentent moins de 0,5% des organisations caritatives actives en levée de fonds.
Mais malgré des résultats impressionnants en termes de nombre de nouveaux donateurs mobilisés dans nombre de pays de l'hémisphère Nord, la collecte de rue par l'intermédiaire d'agences commerciales ne fait pas l’unanimité, même au sein du secteur associatif.
Les réticences sont de trois ordres: décalage constaté entre les valeurs prônées par l'association (son ADN) et l'usage répété de techniques de démarchage perçues comme intrusives, risque de lassitude ou d'irritation du public, et inquiétudes quant au pourcentage réel des frais de prospection en cas de sous-traitance par une agence commerciale.
Les questions soulevées par le reportage Pano ne concerne qu'un nombre limité de dérives générées par certaines pratiques commerciales. Les journalistes ne mettent pas en cause l'utilité des collaborations entre associations et entreprises commerciales, contrairement aux critiques adressées à l'encontre des reporters de la VRT par Joke Persyn (lector HoGent) dans une récente contribution intitulée 'Samenwerking tussen goede doelen en profitsector is geen duivels huwelijk, beste PANO'.

Pourcentage de frais en collecte de rue: peu de transparence
S’exprimant dans le cadre de l'émission Pano, le Secrétaire général de l’AERF jugeait important de rappeler que le street fundraising est une méthode de prospection qui rapporte dix fois ce qu’elle coûte à l'association. Cette estimation se vérifie effectivement dans le cas de donateurs dont la domiciliation se prolonge durant de nombreuses années.
Mais il est utile de préciser que le rendement global des campagnes de collecte de rue ne peut s'apprécier qu'en y intégrant le coût de recrutement de nombreux donateurs qui interrompent rapidement leur souscription par domiciliation. Dans ce cas les quelques dons qu'ils ont versés ne couvrent pas le prix payé à l'agence pour leur recrutement.
Or divers experts ou praticiens font état de ce qu'en moyenne près de 50% des donateurs annulent leur souscription endéans les 24 mois après la signature de la domiciliation. Et une récente étude néerlandaise confirme qu'aux Pays-Bas, tenant compte de ce taux de désinscription, le break-even - c'est-à-dire du moment où les dons collectés ont remboursé l'ensemble des coûts de la collecte - n'est souvent atteint que 18 mois après le premier don, voire encore plus tard.
Les associations concernées disposent en réalité d'estimations précises concernant le coût et les recettes - notamment concernant l'indicateur 'break-even' - des campagnes de collecte de rue réalisées au travers d'agences commerciales. Elles contribueraient sans nul doute à renforcer la confiance du public en acceptant de publier quelques estimations financières incontestables concernant le rendement actuel de ces opérations.

Comment autoréguler plus efficacement le secteur de la collecte de rue ?
Comme indiqué plus haut, suite au reportage de Pano l’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds (AERF) a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les pratiques de ses membres, qui sera suivie de la création d’une procédure de plainte interne.

Il est incontestable que diverses mesures initiées par cette plateforme sectorielle – tel l’établissement d’un planning national des opérations de collecte sur la voie publique – ont permis à la Belgique d'échapper aux dérives constatées notamment il y a trois ans au Royaume-Uni, où la présence incontrôlée de recruteurs dans nombre de rues commerciales avait fortement nui à la réputation des associations caritatives.

Mais quoique bien intentionnée, une instance d’autorégulation ne dispose que de peu de moyens de pression.
On en a eu la confirmation lorsqu'Amnesty Vlaanderen, alors membre de l’AERF, s’est vue contrainte par cette instance de réviser des modalités peu éthiques de collaboration avec l’agence commerciale de street fundraising APPCO, alors active en Belgique.
Suite à cette injonction cette association s’est contentée de quitter la plateforme AERF sans que ce retrait ne la pénalise de quelque manière que ce soit.

Au Royaume-Uni la collecte de rue est tenue de se conformer à diverses exigences imposées par l'autorité publique - le Fundraising Regulator - et dont une plateforme sectorielle - l'Institute of Fundraising - vérifie régulièrement qu'elles sont effectivement respectées.
L'efficacité de cet encadrement strict des activités de street fundraising tient notamment au fait que cette structure dispose de ressources financières conséquentes. Elles lui permettent par exemple d’effectuer chaque année environ 900 vérifications de type ‘mystery shopping’ sur la voie publique.
Peut-on espérer qu’en Belgique également les associations et les agences commerciales s'entendent pour cofinancer un instance indépendante d’auto-régulation du secteur ?

Sources

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