Le cadeaux non-sollicités
correspondent-ils aux attentes réalistes des donateurs ?
23/05/2018 - L'entrée en vigueur de la réglementation européenne relative à la protection des données personnelles (RGPD) impose de nouvelles conditions en matière de mailings adressés aux donateurs.
A l'avenir, si une association justifie certains traitements - tel l'envoi d'un appel au don ou la cession de son fichier de donateurs à une autre association - sur base de son intérêt légitime, elle devra être en mesure de démontrer que cette décision a suffisamment pris en considération les attentes réalistes des usagers concernés.
-> Lire: 'Le RGPD mettra-t-il fin à la sur-sollicitation de certains donateurs ?'
Dès lors que le RGPD impose une obligation de prise en compte des attentes réalistes des usagers concernés, d'aucuns espèrent que cette réglementation aura pour effet d'interdire l'envoi répété - sans consentement explicite des donateurs concernés - de multiples gadgets non-sollicités s'il est avéré que cette pratique provoque un sentiment d'irritation compréhensible auprès de nombreux destinataires.
Les ' premium mailings ' désignent, dans le jargon des spécialistes en direct mail, l'envoi de courriers dont l'enveloppe contient un cadeau non-sollicité: bic, calendrier, cartes de voeux, etc.
Cette technique vise à provoquer la curiosité du donateur - tenté de découvrir le contenu de l'enveloppe - puis à susciter un sentiment de malaise du fait du cadeau reçu, en sorte que le destinataire influençable peut se sentir moralement tenu de verser un don.
'Direct mail premiums': recettes net en hausse, mais pourcentage élevé de frais de collecte
Tant en Belgique qu'ailleurs en Europe, l'envoi régulier d'appels aux dons accompagnés de cadeaux non-sollicités est surtout pratiqué à l'initiative d'agences commerciales de fundraising, tel que la société Direct Social Communications, qui se sont spécialisées en conséquence dans l'achat de gadgets fabriqués à peu de frais dans des pays à bas salaire.
Ces agences, de même que divers consultants en fundraising, se font fort de démontrer que les appels au don accompagnés de menus cadeaux génèrent à court terme un taux de réponse supérieur à la moyenne.
-> Lire: 'Mailings avec cadeaux non-sollicités: les arguments économiques'
Mais s'il est vrai que cette technique permet habituellement de dégager dans l'immédiat une augmentation de la recette, le recours répété à ce mode de sollicitation suscite également l'irritation d'un nombre significatif de donateurs.
Il entraine par ailleurs beaucoup d'associations qui en font usage dans une spirale de frais de collecte de fonds de plus en plus élevés.
En Belgique pas plus d'un tiers des associations qui prospectent, souvent avec des 'premium mailings', sur des fichiers de donateurs appartenant à une agence commerciale, se risquent à publier leurs dépenses de collecte sur leur site ou à défaut sur ceux de l'AERF ou de Donorinfo. Leurs pourcentages de frais de collecte, souvent aux alentours des 30%, apparaissent à l'évidence nettement plus élevés que la moyenne nationale.
Un petit cadeau exceptionnel sera facilement accepté, au contraire de l'envoi répété de gadgets inutiles
La plupart des associations belges actives en levée de fonds s'interdisent toute dépense pour des envois de cadeaux non-sollicités, considérant autant que leurs donateurs que les dons ont davantage vocation à financer les projets humanitaires et sociaux.
Une minorité d'organisations estiment raisonnable de transmettre une fois par an un cadeau anodin - tel un mini-calendrier ou quelques cartes de voeux - sans que cette pratique suscite la réprobation de leurs sympathisants.
Cession répétée d'adresses de donateurs + cadeaux inutiles: mélange explosif !
Toute autre est la situation des associations qui ont choisi de confier une partie significative de leur collecte de fonds à une agence commerciale qui encourage l'envoi répété de mailings accompagnés d'un 'premium' (cadeau non-sollicité), surtout lorsque les prospections ciblent ensuite, à plusieurs reprises, le même fichier de donateurs dont cette agence est propriétaire.
Car dans pareil cas les généreux donateurs qui acceptent de soutenir trois ou quatre associations se retrouvent assaillis de sollicitations répétées, et accumulent quantités de gadgets (voir visuels) insérés dans les courriers qui leur sont adressés par diverses organisations caritatives.
Surenchère d'objets insolites, source de mécontentement accru des donateurs
Les agences commerciales en fundraising ont bien vite compris que l'envoi répété de cadeaux identiques - cartes de voeux, calendriers, adresses auto-collantes personnalisées - lassent nombre de destinataires.
Elles encouragent dès lors leurs associations clientes à faire preuve de davantage d'audace, en se risquant à envoyer des sollicitations accompagnées de cadeaux plus originaux.
C'est pourquoi un nombre croissant d'appels aux dons diffusés en Belgique comprennent une panoplie d'objets hétéroclites: bics, mouchoirs, napperons, sacs en tous genres, gants, maniques, chaussons, albums photo, décorations de sapin de Noël, ours en peluche, boites de médicaments, jeux de cartes, crucifix, porte-monnaie, cartouches d'identification de valises, gommes, règles, loupes simples ou avec lampe led, porte-clefs avec lampe intégrée, etc.
L'enveloppe - ou la boîte dans le cas d'un envoi qui comprend trois ou quatre cadeaux - est souvent munie de plusieurs fenêtres, permettant au destinataire de distinguer le cadeau offert.
Le message figurant sur l'enveloppe insiste lourdement sur la présence d'une surprise:
'Un chouette cadeau vous est offert à l'intérieur' - 'Découvrez vite vos 5 cadeaux de Noël dans l'enveloppe' - 'Découvrez vite vos jolis cadeaux !' - 'A l'intérieur, des étiquettes personnalisées pour envoyer vos voeux' - 'Un jeu du lapin en cadeau pour vous !'
'Important! Découvrez vite votre cadeau !'
Recours fréquent à un double mécanisme de culpabilisation
On observe au niveau des mailings accompagnés de cadeaux non-sollicités que la tonalité du message et le choix des visuels privilégient souvent la description de situations individuelles particulièrement dramatiques.
Le lecteur se sent directement interpellé par une succession de courriers qui le confrontent aux difficultés extrèmes d'un individu (souvent un enfant), qui pourrait être "sauvé " par le don du destinataire.
Les mailings conçus par des agences commerciales privilégient donc le recours à un double mécanisme de culpabilisation des destinataires, amorcé par l'envoi du cadeau non-sollicité puis renforcé par la tonalité du message à tonalité misérabiliste.
Ils se distinguent des messages plus sobres produits par la plupart des acteurs de la collecte, qui choisissent de rédiger en interne le texte des messages adressés à leurs sympathisants.
Le RGPD acceptera-t-il la cession répétée d'adresses de donateurs, si les appels aux dons qui s'ensuivent sont source d'irritation ?
Il parait improbable que le RGPD permette à certaines associations de continuer d'offrir les données personnelles de leurs donateurs en location, quels que soient les effets désagréables ressentis ultérieurement par les usagers concernés.
On est en droit d'espérer que l'application du règlement RGPD ne permettra plus la cession répétée de fichiers de donateurs à une société commerciale, sans consentement explicite des personnes concernées et alors que celles-ci risquent d'être exposées à des appels aux dons répétés, dont la tonalité misérabiliste et la présence récurrente de cadeaux non-sollicités suscitent une irritation compréhensible.
Faudra-t-il attendre que des plaintes de donateurs amènent la Commission de Protection de la Vie Privée à trancher cette question, et à sanctionner le cas échéant les associations fautives ?
Rappelons que cet article s'inscrit dans le cadre d'une analyse plus générale de l'impact du RGPD dans le contexte des locations et cessions de fichiers de donateurs: 'Le RGPD mettra-t-il fin à la sur-sollicitation de certains donateurs ?'
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